Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/112

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Ces paroles donnaient le signal du départ. Fanny s’enveloppait dans son châle de laine blanche, et, comme à regret, M. de Chanteprie disait :

« Fais atteler la voiture, Jacquine. Je vais reconduire Mme Manolé aux Trois-Tilleuls. »

À travers la grille du potager, la servante regardait s’éloigner le vieux cabriolet, sur le chemin du Chêne-Pourpre. Ironique, elle haussait les épaules d’un air de pitié.

Pourquoi s’en allait-elle, l’amoureuse, et lui l’amoureux, pourquoi revenait-il seul dans sa chambre vide ? Ils attendaient quoi ?… Le mariage ? Ils pouvaient attendre ! Tant que Mme Angélique vivrait, Jacquine ne mettrait pas les draps blancs au lit de noces… Ils avaient donc bien peur du bon Dieu, ces jeunes gens ? Et, dans le souhait informulé qui montait aux lèvres de Jacquine, il y avait comme un désir de revanche sur ce Dieu qui tuait Mme de Chanteprie, et qui réclamait peut-être la jeunesse stérile d’Augustin.

Un soir, vers la fin d’octobre, les amants achevaient leur repas. Jacquine desservait, Augustin regardait Fanny, et Fanny regardait le soleil qui se couchait, au loin, dans un ciel rouge et terrible.

« Voyez, dit-elle, c’est presque effrayant. Cela fait penser aux vieux tableaux espagnols, où le ciel écarlate saigne derrière des crucifiements et des tortures. »

Jacquine posa sur la table un flambeau à trois branches, et dit sentencieusement :

« Ciel rouge au soir annonce grand vent… C’est un temps de saison… Les hirondelles s’assemblent, les corbeaux volent par troupes sur les champs. Voilà les beaux jours finis, madame. »

La table desservie, Augustin se penchait à son tour, contre la vitre.

« Oui, dit-il, ce paysage ne parle que de tristesse et de deuil… L’oncle Adhémar n’y songeait guère, en bâtissant ici le pavillon. Pourtant, la vue du cimetière devait gêner Rosalba-Rosalinde. Mais ni Adhémar ni sa danseuse ne surent comprendre le conseil des morts.

— Les pauvres mots sont bien morts. Vous leur faites dire tout ce que vous voulez, vous, l’homme austère… Mais s’ils pouvaient parler, ils nous rappelleraient qu’il n’y a pas d’autre sagesse que de vivre en joie et de cueillir le jour.