Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/125

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des études sans cadres, des affiches, et, sur une console, quelques figurines de Tanagra et un groupe de Rodin.

Augustin ne pouvait examiner en détail cet intérieur d’artiste sans ressentir quelque malaise. Il considérait avec dégoût les gravures galantes du XVIIIe siècle et les Femmes damnées de Rodin. Comment Fanny pouvait-elle supporter la vue de ces objets qu’Augustin appelait crûment des obscénités, des ordures ? En tolérant cet étalage d’indécences, elle invitait les gens à lui manquer de respect. Que de fois Augustin l’avait priée de supprimer ces sujets de scandale !… Mais Fanny s’était presque fâchée : « Ça, des obscénités, des ordures ? Il faut que vous ayez l’imagination bien corrompue, mon ami !… »

Mme Robert s’approcha. Ils causèrent. Elle était de ces femmes plus gracieuses que belles, plus sensibles qu’intelligentes, qui plaisent au second regard. Elle parla de Rennemoulin avec une admiration contenue, et de Barral avec une horreur naïve.

« Le vilain homme !… Il ne respecte rien. C’est un matérialiste… »

Elle prononça ce mot d’un ton mystérieux, qui révélait des arrière-pensées effroyables… Et l’éloge de Rennemoulin recommença, si bien que M. de Chanteprie, interloqué, devina le secret de la jeune femme. Quoi, une femme mariée ?… Était-il possible que Rennemoulin, honnête homme, bon catholique ?…

Un coup de sonnette, l’irruption bruyante d’une bande interrompit la panégyrique. Trois jeunes gens, un vieillard, une femme, entrèrent dans l’atelier. L’un d’eux criait :

« Saujon est revenu de Normandie !… il arrive, il arrive ! Voilà Saujon !… Il apporte du saucisson, du boudin, un pâté et du gui, du gui qui vient de chez sa belle-mère !… Nous venons pour faire une surprise à Fanny ! Nous demandons l’hospitalité jusqu’à l’heure du réveillon.

— Tais-toi, Coquardeau, dit Saujon. Il y a du monde… »

Saujon affectait d’abord une raideur britannique. Il avait des cheveux longs, une toute petite barbe en deux pointes, un gilet de velours, un veston de velours, un pantalon de velours, très large, un vrai pantalon de terrassier. Sa femme, une maigre créature à bandeaux plats, s’était réfugiée dans un coin où personne ne faisait attention à elle. Le père Bruys, vieux bonhomme très blanc, très doux, à tête d’apôtre, se versa un petit verre de cognac. Saujon racontait son séjour en Normandie chez sa belle-mère. Le sculpteur