Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/128

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Quand la voiture de M. de Chanteprie traversa les rues désertes de Hautfort, tout était silence et ténèbres. Sous le double éclair des lanternes, les vieilles maisons avec leurs hautes fenêtres et leurs balconnets de fer, les rares enseignes, les boutiques enfoncées et renfrognées, les arbres nus dépassant les petits murs, les poteaux blancs du télégraphe, le porche de l’église, l’hospice du comte Godefroy, apparaissaient, disparaissaient, repris par l’ombre. Il pleuvait toujours.

Près du jardin municipal, Augustin rendit les rênes au domestique, et, pour abréger sa route, il prit l’allée inaccessible aux voitures qui aboutissait presque au seuil de la maison. Derrière lui, la ville et la plaine s’abîmaient dans un gouffre noir. Mais le jeune homme sentait la présence, l’accueil des choses qu’il ne voyait pas. Dans ces lieux désolés, par cette affreuse nuit, parmi les arbres morts et les ruines, il respirait, le cœur allègre… Il n’était plus seul.

Les souvenirs de la soirée qui l’avaient obsédé pendant le voyage se brouillaient dans sa mémoire. Il était fatigué. Il avait grand sommeil. Dormant à moitié, il entra dans le salon où veillait sa mère. Elle était seule, au coin du feu, sous la lampe dont la lumière rayonnait doucement. Elle le regardait venir ; elle ne faisait pas un geste ; elle ne disait pas un mot.

« J’ai manqué le train de dix heures et demie, commença-t-il. Vous avez eu la bonté de me renvoyer la voiture, mais pourquoi m’attendre, si tard ?… Vous…