une avenue de tilleuls qui faisaient dans l’ombre deux grands murs d’ombre plus opaque. Forgerus devina une terrasse surplombant un gouffre noir, un balustre demi-ruiné, des vases de pierre…
L’odeur de la nuit était fraîche et sauvage. Les fleurs refermées n’y mêlaient pas leur parfum, mais tous les arômes verts et rustiques de l’herbe, des sèves, des feuilles, composaient en s’unissant un accord indéfinissable. C’était comme une longue vibration embaumée où se mariaient des philtres et des baumes, l’odeur âpre du thym, l’odeur glacée de la menthe, l’odeur fade du sureau.
« Vous voilà chez vous, monsieur », dit Jacquine.
Levant sa lanterne, elle montrait le pavillon aux balconnets cintrés, aux œils-de-bœuf ronds sous un toit d’ardoise. À travers les vitres des quatre fenêtres et de la porte, apparaissaient les volets blancs à filets d’or et ternis par la poussière d’un siècle.
La porte grinça. Forgerus pénétra dans une salle qui occupait toute la longueur du rez-de-chaussée. Les moulures des boiseries imitaient un treillage qui s’arrondissait en dôme aux angles du plafond. Quatre figures d’enfants – l’Amour, la Morte, le Sommeil et le Songe – les yeux baissés, un doigt sur la bouche, retenaient de lourdes guirlandes tressées de myrte et de pavots. Partout, du fronton des portes aux entrelacs de la mosaïque, du bronze ciselé des serrures au piédestal d’une Flore mutilée, on retrouvait la fleur chérie d’Adhémar, le Pavot, dont l’âme secrète enchantait la vieille maison.
Cependant le Chevalier n’eût pas reconnu sa retraite. Des cordes tendues supportaient les herbes sèches, des oignons en bottes, des chapelets de mousserons. Des pommes de terre s’entassaient parmi les faïences et les ferrailles. Une araignée, en boule, pendait à un long fil invisible et des papillons pelucheux, étourdis par la clarté, restaient collés contre le vitrage. Sous les pieds de Jacquine, une souris fila. La bonne femme ne s’en émut guère. Éclairée de bas en haut par la lanterne qui projetait au plafond son ombre comique et démesurée, elle semblait la marraine de Cendrillon cherchant la citrouille magique ou le gros rat moustachu. Chacun de ses mouvements, déplaçant l’ombre et la lueur, éveillait des reflets nacrés sur la robe soyeuse des oignons et révélait des objets entassés par terre : chaudron vêtu par la suie d’un beau noir velouté, cuivre jaune d’un flambeau, cuivre rouge d’une bouilloire pansue, cabossée à plaisir pour les jeux errants de la lumière.