Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/150

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— Et lui…

— Il la garde comme intérim entre les femmes du quartier latin qu’il a connues à vingt ans, et la jeune fille riche qui enchantera sa trentième année… La malheureuse Louise ne prévoit pas la rupture que je sens venir, dont Rennemoulin a déterminé déjà les conditions et prévu les conséquences… Il sait que tout finira bien, que Louise ne fera pas de scandale… Il rentrera dans le bon chemin, – le bon chemin qui conduit au beau mariage.

— Fanny, pourquoi me parles-tu de Rennemoulin ? Tu as une arrière-pensée !

— Je sais que notre amour, non plus, n’a pas d’avenir, et, bien que je sois, à l’avance, résignée…

— Non, tu n’es pas résignée… Ma chérie, regarde-moi, là, dans les yeux !… Ô Fanny, il n’est pas besoin qu’un serment nous unisse devant les hommes pour que nous soyons liés pour l’éternité. Si nous devions nous séparer, tu demeurerais encore l’Unique ! Tous les chemins du repentir ne conduisent pas au beau mariage. Que tu sois absente ou présente, fidèle ou infidèle à mon souvenir, j’aurai payé notre amour de toutes mes espérances de bonheur humain. Rappelle-toi les paroles que je t’ai dites, dans les bois de Port-Royal : « Vous ou personne. » Ma volonté n’a point changé…

— Tu es trop jeune pour engager l’avenir. Je sais, moi, par expérience, qu’un être, dans la plénitude de sa force, ne peut supporter la solitude perpétuelle. Nous avons besoin d’aimer autre chose qu’une ombre, d’étreindre notre amour sous une forme sensible, dans nos bras, sous nos lèvres de chair… Tu m’oublierais, Augustin !

— Fanny, je suis l’homme d’un seul amour, comme je suis l’homme d’une seule idée… Non, je ne t’oublierais pas. Et plût à Dieu que nos corps périssables fussent à jamais séparés, si nos âmes réconciliées enfin, et heureuses, pouvaient se retrouver dans son sein !

— Toujours ta chimère ! » dit Fanny.

Elle avait froid au cœur.

Naguère, connaissant bien Rennemoulin et ses pareils, elle avait vu sans déplaisir l’incursion d’Augustin dans le petit monde néo-catholique. Elle avait cru qu’il reviendrait déçu, de ce voyage à travers les œuvres et les âmes… Les mélancolies d’Augustin, les bizarreries d’humeur qui tantôt le cloîtraient chez lui pour de