Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/155

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Vitalis le regardait :

« Pleurez, si cela vous fait du bien. N’ayez pas de honte, pauvre enfant que vous êtes… »

Il toucha, du bout des pincettes, l’édifice enflammé qui s’écroula. On n’entendait que le sifflement de la sève sur le bois brûlant, le tic-tac de l’horloge, et la respiration entrecoupée d’Augustin.

« Je voudrais trouver des paroles pour vous consoler, reprit Vitalis, je voudrais… »

Et comme se parlant à lui-même :

« Vous souffrez cruellement, mais vous avez la foi, et la foi ne va pas sans l’espérance. La grâce qui vous manque, vous croyez qu’un Dieu souverainement bon peut vous l’accorder. Vous priez encore. Songez à ceux qui ne peuvent plus prier, à ceux qui errent dans les mille chemins entrecroisés et ténébreux du doute. Je sais des hommes… des prêtres même, Augustin, des prêtres qui, sincèrement, joyeusement, avaient renoncé au monde, à la femme, à l’amour. Un acte de foi faisait taire le cri des sens révoltés, la plainte du cœur sevré de tendresse humaine… Et voilà que lentement, après de années, ils ont senti leur foi mourir. En vain, ils ont crié, devant le tabernacle vide : le Dieu qu’embrassait éperdument leur désir s’est évanoui comme une ombre. Autour d’eux, en eux, plus rien. Que faire ?… Que devenir ?… L’homme nourri pour le sacerdoce reste rivé au sacerdoce. Il est prêtre pour l’éternité. La robe noire est la livrée d’un deuil qu’on ne pose pas. Et l’infortuné continue son ministère. Il essaie de faire pour l’amour de l’humanité ce qu’il ne saurait plus faire pour l’amour de Dieu. Mais à l’oreille des affligés, au chevet des mourants, il s’épouvante lui-même de prononcer des paroles creuses et vaines, des formules dont il a perdu le sens. Car, si le prêtre s’oubliait jusqu’à parler aux hommes le langage fraternel des hommes, le pénitent sortirait du confessionnal, le moribond se lèverait sur sa couche pour crier : « Va-t’en, renégat !… » J’ai connu de ces prêtres, Augustin, et je vous répète : si malheureux que vous soyez, vous qui priez encore, songez à ceux qui ne peuvent même plus dire : « Seigneur ! Seigneur ! »

M. de Chanteprie, à son tour, regardait fixement l’abbé. Vitalis baissait la tête, et d’un geste machinal tisonnait le foyer presque éteint. Il y eut un silence pénible et long. Puis les sabots de la mère Vitalis claquèrent dans le corridor. Une voix sèche appela :