Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/165

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— Possible… Mais des Faron, des va-nu-pieds, des paresseux, c’est-il une société pour un M. de Chanteprie ?… Et il ne voit plus que des gens comme ça. Il ne quitte plus M. Courdimanche… Ça ne lui passera donc jamais, ces idées ? »

La pierre bleue tremblait sur la joue de la Chavoche. Les mains crispées sous son châle noir, les yeux fixes, dominant Fanny de toute la tête, elle semblait dire :

« À quoi pensez-vous donc et que faites-vous, pour qu’il garde ces idées-, lui qui vous aime !… »

« Je ne peux rien sur lui, ma pauvre Jacquine.

— Vous ne pouvez rien ? Bon Dieu de bois ! Vous ne vous êtes donc pas regardée ?… Il est pourtant fait comme les autres, M. de Chanteprie ! J’en ai vu, de ces garçons qui étaient sages comme des petits saints jusqu’à dix-sept ou dix-huit ans, mais quand ils avaient vu d’un peu près une jolie fille !… Ça serait-il point que vous lui faites des misères, à mon fieu ?

— Moi, Jacquine ! C’est lui, au contraire…

— Dame ! je ne connais que lui ; j’aime ce qu’il aime, et je vous aime à cause de lui… Les gens de Hautfort me donnent de vilains noms parce que je suis pour vous et pour l’amour, madame Fanny, contre la prêtraille… Il n’y a rien de meilleur au monde, quand on est jeune, que l’amour ! La nature veut ça… Faut écouter la nature… L’amour embellit les filles laides et donne de l’esprit aux plus sottes. Je comptais, moi, qu’il changerait l’humeur à mon pauvre fieu ! Ne croyez pas qu’Augustin soit méchant, ou qu’il ne vous aime pas, ma chère dame !… mais on l’a drôlement élevé… Il s’en ressentira toujours.

— Toujours.

— Eh ! oui… Madame n’était pas faite pour le mariage. Elle a épousé son cousin, sans plaisir, par la volonté des grands-parents. Je le vois encore, le pauvre jeune homme ! Il était tout comme son fils… Ces êtres-là, qui sont toujours dans les livres et dans les prières, ils n’ont pas le courage de vivre. Ils pensent à ce qui arrivera peut-être, après la mort, et ils oublient qu’il fait bon sur terre… M. de Chanteprie est parti, tout jeune, et j’ai bien cru que notre Augustin allait le suivre… Un enfant si chétif !…

— Vous l’avez soigné, Jacquine ; vous êtes sa vraie mère, je le sais.

— Oui, sa vraie mère… Je l’ai veillé, bercé, caressé, je l’ai remis au monde… Et j’ai bien juré que celui-là, les curés ne le