Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/168

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Augustin répliqua : « Quand j’ai reçu votre billet, ce matin, j’ai voulu télégraphier, pour retarder de quelques jours votre visite… Mais les termes de votre lettre étaient si vagues que je n’a su où vous adresser ma dépêche : à Paris, au Chêne-Pourpre ? Je ne comprenais pas…

— Et moi, je ne pensais pas vous désobliger… Pardonnez-moi… vous m’aviez interdit ces… surprises… Mais il y a encore deux trains pour Paris…

— Eh bien ! vous ne prendrez que le dernier, et vous dînerez avec moi, ma chérie ! Ne soyez pas ironique… Vous ne me désobligez pas… »

Il baisa la joue froide de sa maîtresse.

« Vous boudez encore. Ce n’est pas généreux, Fanny… »

Elle retenait ses larmes, la gorge serrée d’angoisse. Ah ! comme il pouvait lui faire mal ! « Vous prendrez le dernier train ! » Il trouvait cela tout naturel… Pourquoi donc était-elle venue, sinon pour l’avoir un peu à elle, du soir à l’aube, cœur contre cœur ? Était-ce à elle de dire : « Aimons-nous. Dormons ensemble. » Elle crut mourir de honte… « Vous prendrez le dernier train !… »

« Le domestique est allé prévenir Jacquine. Ma pauvre amie, vous ferez un triste dîner.

— Ça m’est bien égal. Je ne suis pas exigeante, vous le savez », dit-elle à voix basse, car elle craignait d’éclater en sanglots.

Il s’approcha d’elle, et elle leva les yeux vers lui…

« Vous semblez fatigué, fit-elle. Est-ce que je vous ennuie ? Voulez-vous que je m’en aille ?… Je ne peux pas vous voir comme vous êtes en ce moment… Donnez-moi votre poignet… Oui, vous avez la fièvre…

— Je ne suis pas malade, rassurez-vous… Mais vous ne partirez pas si vite… et fâchée contre moi…

— Fâchée ?… »

D’un geste furtif elle porta la main du jeune homme à ses lèvres.

« Est-ce que je peux être fâchée contre vous ?… Non, ne retirez pas votre main chérie… Je vous aime.

— Que vous êtes enfant ! »

Et d’un ton rude, comme pour vaincre leur double émotion :

« Allons, Fanny, soyons raisonnables. Ne nous attendrissons pas…

— Oui… J’oubliais que je dois prendre le dernier train. »