Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/216

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enfermé dans sa maison, et, quand il traversait, par hasard, les rues de Hautfort, il ne parlait à personne.

« Eh bien, votre maître n’est pas venu vous voir ? disaient les commères à Jacquine Férou. Il y a une nouvelle gouvernante, et une cuisinière, chez les Chanteprie. Vous voilà remplacée. »

La Chavoche souriait de mépris et semblait dire : « Ils ne me remplaceront pas !… » Dans la bicoque qu’elle avait louée, près de l’église Saint-Jean, elle vivait seule, cultivant un petit jardin et soignant deux chats familiers. L’après-midi, elle s’asseyait dans la cour de son logis, et les gamins s’avançaient jusqu’à la porte entrebâillée, pour voir la redoutable Chavoche qui branlait la tête en tricotant.

Un jour, comme Jacquine rêvassait ainsi, se chauffant au soleil d’automne, M. de Chanteprie entra dans la cour.

« Notre Augustin !… Mon fieu !… »

Elle le prenait à bras le corps, lui posait aux joues deux baisers passionnés et rudes, puis, sans le lâcher, se reculait pour le mieux voir, d’un air d’extase.

« Lui ! c’est lui !… On disait qu’il ne viendrait pas ici ; mais je savais bien, moi, qu’il ne pourrait pas oublier sa pauvre vieille. »

Quand son transport fut calmé, elle fit asseoir le « fieu » près d’elle, et, lui tenant toujours les mains, elle dit :

« Vous ne voulez donc pas vous mettre curé, que vous êtes revenu à Hautfort ?

— Mais, Jacquine, je n’ai pas la vocation… Qui t’a fait croire ?…

— Dame ! On dit tant de choses, ici !… Vous avez fait causer le monde, vous savez… Et un mauvais monde !… On en a raconté des histoires !…

— Cela m’importe peu, je t’assure. Parlons de toi, ma bonne. Tu es bien ?… Tu ne t’ennuies pas trop ?

— J’ai trois cents francs de rente ; la baraque n’est pas vilaine, et mes chats me tiennent compagnie… Tout de même, quand Mme Angélique m’a donné congé, j’ai vu trente-six chandelles ! Depuis plus de cinquante ans que j’étais chez vous… car je vais avoir soixante-dix-neuf ans tout à l’heure, sans qu’il y paraisse, mon fieu !… Elle va bien, Mme Angélique ?

— Elle supporte ses maux.

— Oui, elle nous enterrera tous… Les gens qui n’aiment rien, rien ne les use… Et vous êtes tout à fait d’accord, à présent ?

— Ma mère est très bonne pour moi, trop bonne !…