Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/233

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Vers la fin de cette même année, la Chavoche accomplit ses quatre-vingt ans. Elle était devenue très maigre, les joues fibreuses, la bouche enfoncée entre le nez et le menton, les prunelles dédorées et rétrécies sous les arcades des sourcils grisâtres. Et quand elle s’asseyait sur la porte, à croppetons, elle ressemblait tout à fait à une vieille chouette frileuse, roulée en boule au bord d’un trou.

Un soir, Mlle Desfossés vint la quérir et lui apprit ce que tout Hautfort savait déjà : M. de Chanteprie était très malade d’une grippe mal soignée qui se compliquait de pleurésie. Dans son délire, il réclamait Jacquine : il s’étonnait qu’elle ne fût pas là.

La Chavoche prit son cabas, confia ses bêtes à une voisine, ferma sa porte à double tour et suivit la gouvernante.

Dans la chambre d’Augustin, le capitaine Courdimanche et Mme Angélique causaient tout bas. Le malade reposait. Une lampe, placée loin du lit, laissait le chevet dans l’ombre.

« C’est toi, Jacquine ! dit la mère. Ah ! je pensais bien que tu viendrais…

— C’est pour notre Augustin que je suis venue et non pour vous, madame Angélique… Je ne m’en retournerai point qu’il ne soit mort ou guéri. »

Elle s’approcha du lit, considéra le masque aux joues creuses, à la peau flétrie, aux narines pincées… Ce spectre, c’était le fieu qu’elle avait tant aimé. Une violence méthodique faite à la nature avait ruiné ce pauvre corps que la maladie, désirée peut-être, achevait de consumer.