Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/38

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comme des grappes de raisin noir, elle avait quelque chose d’italien, dans le contour des joues, dans la forme des sourcils droits, du nez fin, de la bouche en arc… Oui, elle rappelait les figures ambiguës, mi-anges, mi-bacchantes, qui tiennent une croix comme un thyrse et sourient mystérieusement dans les fonds enfumés d’anciens tableaux.

« Il doit faire bon vivre, ici… » dit-elle.

Et ses yeux à longues paupières, à larges prunelles veloutées, ses beaux yeux interrogateurs et caressants, rencontrèrent les yeux d’Augustin.

Il vit une intention moqueuse dans ce regard, dans ces paroles, et se détourna, raide et gêné. Car Augustin de Chanteprie, à vingt-trois ans, avait tout l’ombrageux et douloureux orgueil des adolescents qui croient les femmes toujours occupées d’eux, ironiques et malveillantes.

« Eh bien, monsieur, dit Mme Lassauguette, je verrai votre mère, cet après-midi. Pourrait-on déjeuner chez votre fermier ? Nous sommes très fatiguées, ma nièce et moi, et je n’ai pas la force de faire quatre kilomètres à pied, l’estomac vide.

— Je déjeune moi-même chez Testard, dit Augustin. Voulez-vous partager l’omelette et la salade que la bonne femme a préparées ? Nous irons ensuite à Hautfort.

— Volontiers, répondit la vieille dame. Nous causerons de notre affaire pendant le repas, et nous finirons par nous entendre si vous êtes raisonnable… »


Augustin n’était pas commerçant. Il fut si raisonnable que Mme Lassauguette fut enchantée.

Après déjeuner, la voiture les emportait tous trois sur le chemin de Hautfort. La tante bavardait, la nièce rêvait, et M. de Chanteprie, assis entre les deux femmes, commençait à s’effrayer des engagements qu’il avait pris. Inquiet, perplexe, il redevenait sauvage et s’écartait de ses voisines autant qu’il le pouvait, les coudes serrés, la tête haute, les yeux fixés sur le cheval.

Fanny avait baissé son voile. Sous le tulle aux fleurs légères, ses beaux yeux brillaient doucement… D’ou venait cette femme ?… Était-elle mariée ?… Sans doute, puisqu’on l’appelait madame, puisqu’elle portait l’alliance d’or à sa main gauche… Pourquoi n’avait-elle jamais parlé de son mari ?… Son langage, ses manières, révélaient une bonne éducation, mais on y sentait l’habitude de la