Aller au contenu

Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/7

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Je tâcherai de mériter vos bontés, monsieur. »

L’enfant paraissait accablé de fatigue et d’émotion, et ses cils penchaient sur ses prunelles bleues pareilles à des violettes fanées.

« Montez dans votre chambre jusqu’au dîner : Jacquine vous donnera de la lumière…

— Oui, mon fieu, dit la servante. Venez. »

Mme de Chanteprie s’était rassise, le buste droit, les coudes à peine appuyés. Sa figure fine, entre des bandeaux blonds, n’exprimait aucun autre sentiment qu’une douceur impassible. Elle avait le teint jaune des recluses, – plus jaune près de l’éclatante blancheur d’un col uni, – un front haut, serré aux tempes, un nez délicat, une bouche scellée par l’habitude du silence, des yeux sans lumière et sans couleur, dont le regard semblait tourné en dedans, vers le mystère intérieur de l’âme.

« Je vous dois la vérité, madame, dit M. Forgerus. Lorsque M. de Grandville me proposa de revenir en France pour faire l’éducation de votre fils, j’éprouvai quelque répugnance. Quitter ce collège que nous avions fondé ensemble, abandonner mes élèves, mes travaux, pour une misérable raison de santé !… M. de Grandville insista. Il me dépeignit votre caractère, votre existence, la difficulté où vous étiez de trouver un homme qui pût instruire votre enfant, près de vous. Il affirma que j’étais cet homme, malgré mes imperfections, et que je ne pouvais refuser une tâche imposée par Dieu.

— L’abbé de Grandville a raison. Vous ferez œuvre utile, monsieur, et vous augmenterez vos mérites devant le Seigneur, si, par vos soins, mon fils remplit mes espérances. Dès ce jour, ma maison vous est ouverte ; ma gratitude vous est acquise… Vous connaissez l’histoire des Chanteprie ? Vous savez comment ils sacrifièrent affections, repos, fortune, à ce qu’ils croyaient être la vérité ? Eh bien, ce n’est pas leur doctrine, c’est leur constance qu’il faut donner en exemple à Augustin. Fils des Chanteprie, il doit rester Chanteprie, attaché à sa foi plus qu’à ses biens, plus qu’à sa fortune, plus qu’à sa vie. Oui, dans ce siècle d’impiété et d’insolence où tant de chrétiens se relâchent et se déshonorent par des compromissions, je veux que mon fils soit un chrétien véritable, chrétien par ses sentiments et par ses actes, scrupuleux, tenace, intransigeant.

— Eh ! madame, dit M. Forgerus en souriant, il n’y a pas deux manières d’être chrétien.