Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/71

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madame, vous n’êtes pas, à proprement parler, une ennemie de la religion ?

— Ni ennemie, ni amie… Je suis indifférente.

— Vous avez fait votre première communion ?

— Non, monsieur l’abbé.

— Mais vous êtes baptisée ?

— Je suis baptisée, mais ça ne prouve rien, répondit-elle, naïvement.

— Cela ne prouve rien ? dit Augustin. Mais vous ne savez donc pas ce que c’est que le baptême ? »

Fanny le regarda d’un air effaré… Non, elle ne savait pas… Elle était baptisée : un prêtre avait versé de l’eau bénite sur son front d’enfant, en prononçant des paroles latines. Et cela signifiait qu’elle était chrétienne, comme tout le monde.

« Comme tout le monde !… C’est vrai, vous ne pouvez savoir ! dit M. de Chanteprie. Ce n’est pas votre faute… Mais que vous soyez heureuse, qu’un être intelligent puisse être heureux sans connaître Jésus-Christ et sans l’aimer, non, c’est impossible : ce bonheur ne doit être qu’une illusion. »

L’abbé toussota : Augustin allait trop vite ; la dame pouvait s’offenser de son intervention… Mais Fanny, rêveuse, ses grands cils flottant sur l’ambre pâle de sa joue, se tournait lentement, invinciblement, vers le jeune homme.

« Vous me plaignez ? dit-elle.

— Oui, madame, je vous plains. Vous êtes trop sensible aux belles choses pour demeurer dans l’indifférence ; si vous connaissez un jour, si vous pressentez seulement la divine beauté de la religion… Tant de consolations vous sont refusées ! Tant d’émotions vous restent inconnues ! Comment ne souffrez-vous pas de sentir autour de vous, en vous, le mystère, l’effrayant mystère que la science humaine n’a point pénétré ? Comment pouvez-vous être heureuse, ignorant d’où vous venez, où vous allez, qui vous êtes, menacée de toutes parts dans votre santé, dans votre intelligence, dans vos intérêts, dans vos affections ? Ah ! madame, il y a le mal, il y a la mort, il y a le redoutable lendemain de la mort ! Et vous, suspendue sur l’abîme, dans les ténèbres, sans autre lumière qu’une raison vacillante et prête à s’éteindre, vous osez vous dire heureuse, et vous me regardez avec surprise, moi, chrétien, parce que je vous plains de toute mon âme, parce que j’ai infiniment, oui, infiniment, pitié de vous. »