Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/85

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« Où sommes-nous ? demanda Fanny.

— Entre Milon et Saint-Lambert, répondit Augustin. Vous n’êtes pas fatiguée ? »

Elle eut un cri de passionné bonheur :

« Fatiguée, moi ?… J’irais au bout du monde… Tout me paraît si beau ! »

D’un geste, elle montrait le ciel d’azur et de nuages, azur vaporeux, nuages traversés de soleil et dont le vol ne laissait pas traîner d’ombres. La route ondulait entre deux versants boisés qui semblaient se rejoindre, se confondre, ouvrir à regret la perspective sur des fonds d’outremer amorti. Des cultures rayaient obliquement la pente, blés jaunissants, pâles avoines légères, bluets innombrables dans le seigle vert. Çà et là, des toits de tuiles, des ardoises, des chaumes pressés par petits groupes, des files de peupliers le long des pâturages humides, des saules à tête argentée indiquant le lit d’un ruisseau.

« C’est pourtant la même vallée que nos pères appelaient un désert horrible et sauvage ! dit Augustin. Mais j’aime cet horizon toujours proche et qui recule toujours, ce paysage aux lignes simples, sans accident et sans éclat, ce paysage recueilli, fermé, qui borne le regard et retient l’âme au lieu qu’elle a choisi pour retraite… Vraiment, depuis que nous avons résolu de faire, ensemble, ce pèlerinage, je vous ai conduite ici, par la pensée, plus de cent fois… Et plus de cent fois j’ai rêvé au bonheur de marcher près de vous, sur cette route, et de vous dire enfin : « Port-Royal ! »