Page:Tinayre - La Rancon.djvu/155

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Ô maîtresse, nos cœurs mortels n’enviaient pas
La morne éternité des astres impassibles.
Quand je baisais les pleurs de tes yeux invisibles,
Des espoirs infinis surgissaient sur tes pas.

Nous marchions sous l’arceau de l’antique ramée
Et le silence était plus doux que les aveux.
Sur ta robe traînante et sur tes longs cheveux.
Les tilleuls secouaient leur averse embaumée.

Heure d’ombre clémente et de silence ami !
      Bénissant les hasards complices,
Nos âmes savouraient les muettes délices
      D’un désir jamais assouvi.

Oh ! comme nous sentions sur nos têtes vaincues,
      Les sorts contraires peser lourd,
Quand l’ivresse et l’angoisse et l’invincible amour
      Joignaient nos lèvres éperdues.

Comme ta main tremblait dans ma tremblante main,
      De joie infinie — et de crainte !
Et le dernier baiser et la dernière étreinte,
Où frissonnait toujours la peur du lendemain !

      Hélas ! de ces bonheurs avare,
La vie assujettit ton âme à d’autres lois.
Nous ne rentrerons plus au frais Eden des bois…
      La fatalité nous sépare.

En vain, nos libres cœurs ont rêvé de s’unir…
      Chacun vit loin de ce qu’il aime,
Séparés dans le temps, l’espace et l’avenir
      Et séparés dans la mort même.

    

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