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— Jouez-moi d’abord la série des Lieder

La jeune femme se mit au piano. Chartrain écoutait vibrer la voix pure ; mais le cou blanc, la taille libre dans la robe de batiste écrue distrayaient son attention. La langue de Heine, un peu âpre et gutturale, prenait sur les lèvres de Jacqueline une mélodieuse douceur, et des vers surpris au passage éveillaient de lointaines résonances dans la mémoire de Chartrain. « Au splendide mois de mai, alors que tes bourgeons rompaient l’écorce, l’amour s’épanouit dans mon cœur… — Quand je vois tes yeux, j’oublie mon mal et ma douleur… Quand je baise ta bouche je me sens guéri tout à fait. » Les premières mélodies des Dichterliebe, qui expriment avec une tendresse si pénétrante le charme des commencements d’amour, ces cris de joie et de jeunesse, ces aveux tout frémissants de mélancolie, Étienne les avait entendus bien souvent… Mais jamais il n’avait secoué la tristesse des derniers Lieder où passent les sanglots et les ironies de l’amour trompé. Quel sentiment le poussa à arrêter Jacqueline quand elle achevait le grave choral qui accompagne, comme l’hymne d’une foule pieuse, l’évocation de la sainte peinte sur cuir doré, dans la cathédrale de Cologne ?… Il