Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/10

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sans époux, — seule dans la rue, seule dans la vie…

Pourtant, les yeux de Josanne, le sourire de Josanne, sous la voilette, étaient tristes et tendres, un peu languissants. L’amour avait touché ces yeux et ce sourire.

Un jeune homme qui flânait tourna la tête : « Gentille… oh ! gentille !… » Un monsieur mûr suivit la passante : il parlait d’un petit dîner « chez Foyot, d’une soirée… à l’Odéon… Puis, il expliqua ses convoitises. Josanne, sans fureur, répondit :

— Imbécile !…

Le jeune homme s’en alla, content. L’homme mûr s’en alla, vexé. Josanne gagna les arcades de l’Odéon. Il pleuvait encore, et soudain, un bec de gaz allumé, jaune et clignotant, attrista le crépuscule.

Six heures…

Un enfant blond et bouclé, pareil à l’amour en guenilles, offrit les violettes de son panier :

— M’selle, fleurissez-vous !…

Josanne, de ses doigts gantés, mania les bouquets ronds, couchés sur la fougère humide : des feuilles de lierre, dures et veinées, comme ciselées dans le fer, formaient une étoile sombre, à cinq pointes, autour des violettes pâles,

— C’est de la Parme, m’selle, et c’est trois sous.

Josanne donna les trois sous, choisit un bouquet. Elle fermait les paupières en respirant le parfum et elle songeait :

« Tout le monde m’appelle mademoiselle, ce soir… Et moi-même, je me sens très jeune. Pourquoi ?… »

Elle savait bien pourquoi, et ses yeux, d’un bleu