Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/114

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parti… J’pensais qu’à lui… à lui… tout le temps ! Et pas le sou… pas d’ouvrage… J’m’en cache point : j’ai essayé tout… tout… Y a des gens qui disent que c’est mal… Faudrait qu’i’ soyent à ma place…

Josanne comprenait : tout !… les tisanes conseillées par les commères, les visites secrètes chez l’herboriste, chez la matrone du faubourg… Tout !… elle devinait l’affreux courage de la femme contre elle-même, victime et bourreau…

Elle prit la main de madame Neuf, et elle répétait : « Pauvre !… pauvre !… » avec un accent de compassion et de douceur infinie… Les papillons de gaz sifflaient… On entendait le ronflement du poêle. Une des pensionnaires, tout à coup, chanta, — voix fraîche et frêle, un peu tremblante et qui traînait…

    Dans les sentiers remplis d’ivresse,
    Allons ensemble à petits pas…

La romance, usée depuis vingt ans par mille et mille lèvres, beuglée dans les carrefours, dans les ateliers, dans les trains et sous les tonnelles du dimanche, conservait son prestige sur la sensibilité populaire… Les femmes, un instant, se recueillaient, oubliant le gâteau mordu, la tasse pleine, — et les lilas fleurissaient dans leur mémoire avec l’odeur de l’amour défunt…

— Écoutez, ma pauvre petite, dit Josanne ; puisque vous me trouvez gentille, et que je ne vous fais pas peur, écoutez-moi… Je vous comprends très bien… Je vous plains de toute mon âme…

— Madame…

— Vous avez un grand chagrin, je le vois, une