Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/214

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tait à sortir, à voir les dames Chantoiseau et d’autres personnes amies : Josanne consentait tout juste à promener son fils sur les remparts. Une paresse invincible la dégoûtait de l’action, de la causerie vive et prolongée. Et la tante, un peu choquée et inquiète, lui disait parfois :

— Qu’avez-vous, ma nièce ?… Vous êtes triste ?

— Triste, moi ?… Oh ! non ! Je me repose de Paris.

Elle se reposait ; elle attendait, heureuse de lire, de coudre, de rêver, seule, attentive à ses pensées, — à la secrète et constante pensée qui était en elle comme la trame de toutes les autres. — Le bon sommeil, l’appétit revenu, la vie calme et régulière, l’avaient embellie et rajeunie en quelques jours. Elle pensait :

« C’est vrai que je ne suis plus triste, plus triste du tout !… Maurice serait bien étonné de me voir ainsi… Je n’aurais jamais cru me consoler si vite !… Comment puis-je oublier ces années terribles et embrasser Claude sans un serrement de cœur !… Ai-je donc une âme légère ?… Est-ce la « force des choses » qui me détourne du passé ?… Est-ce l’influence de Noël Delysle ?… Je ne sais pas. Je me laisse vivre… »

Elle s’éveillait, le matin, avec un sentiment de confiance et s’endormait, le soir, avec un sentiment de gratitude envers le sort qui lui accordait cette trêve. Elle était sûre que rien de pénible n’attristerait son retour, et cependant elle ne se hâtait point de revenir à Paris. Libre de songer à Noël, ne faisant rien que d’écrire à Noël ou de relire les lettres de Noël, elle sentait son ami si proche qu’elle se surprenait à lui parler tout haut.

Mais, ce jour-là, dans la chambre où elle travail-