Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/297

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sa mémoire… Ah ! dix ans, vingt ans plus tard, elle reverrait sur la nappe de grosse toile ces verres glauques, ces faïences, les cerises d’un beau rouge neuf et verni entre la bouteille ambrée et le pain blond ; elle entendrait cet air de valse qu’épelaient des doigts inhabiles sur le piano du salon vitré… Une note manquait au clavier et la mélodie sautillante boitait tout à coup, quand la mesure se cassait sous elle…

Depuis trois jours, depuis que Noël avait cueilli l’amoureuse promesse sur les lèvres de Josanne, ils avaient vécu dans l’attente de cette heure qui allait venir. Affolés par les baisers, par les premières et timides caresses, ils avaient perdu l’appétit et le sommeil ; ils évitaient de se regarder ; ils échangeaient des paroles banales ; et la femme sentait croître en elle une sorte de peur physique, comme si elle était redevenue vierge pour le maître nouveau…

Elle n’avait pas voulu lui appartenir chez elle, ni chez lui. Une superstition tendre la ramenait, pour ses noces secrètes, parmi les bois, les eaux vives, les rochers gris de Cernay, Noël avait retenu, la veille, une petite chambre dont la fenêtre s’ouvrait sous une frange de glycine… Humble fenêtre aux rideaux de guipure commune, aux volets bruns, que Josanne aurait aperçus, en tournant la tête, et qu’elle n’osait pas regarder !

« Aujourd’hui !… tout à l’heure… je serai à lui… à lui qui est là, qui me parle, qui m’aime !… Est-ce vrai ?… Oh ! je ne peux pas croire que ce soit vrai… »

Absorbée et silencieuse, elle sourit d’un faible sou-