Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/60

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haussent, gonflées de sève, avec de petites feuilles roulées, pointues comme des ongles verts et des bourgeons cotonneux ou gluants, bruns et pourpres.

Ce n’est pas Josanne, c’est Pierre qui a choisi d’habiter ce sombre quartier d’écoles et de couvents : rue des Irlandais, rue Amyot, rue Lhomond, rue Tournefort, — rues grises, le jour, et, la nuit, toutes noires, avec des réverbères de province. — Là seulement, Pierre Valentin a trouvé le compagnon désiré de son ennui : le silence. Le silence tombe, glacé, de la coupole funéraire du Panthéon ; il habite les porches verdâtres des collèges, les impasses barrées de chaînes, les masures aux fenêtres grillées. Un fiacre qui passe est un événement. On rencontre, au crépuscule, de vieux messieurs qui ont des redingotes de savants, des figures de prêtres, et des chapeaux gibus sur leurs cheveux blancs trop longs. D’où sortent-ils ? Où vont-ils ?… Pierre voit partout des jésuites laïcisés, — mais Josanne est bien sûre que ces gens sont des personnages de Balzac qui reviennent. Le fantôme du père Goriot descend parfois la montagne Sainte-Geneviève pour rentrer à la pension Vauquer…

Josanne a fini par l’aimer, ce quartier triste… Car elle a cette grâce, ce bonheur d’être une imaginative, et de transfigurer la réalité. Son père, humoriste sentimental et poète, disait naguère : « Ma fille a un papillon bleu dans le cerveau… » La vie sérieuse, la vie tragique a fortifié la raison, tendu la volonté de Josanne, mais le papillon bleu de la fantaisie palpite encore sur ses rêves, sur ses chagrins, sur ses amours.

Voir tout en beau, c’est la sagesse. Josanne se fait des joies avec les plus humbles choses, — un ruban,