Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/62

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Médard, au seuil de la bicoque où demeura Jean Grave, elle cherche la marchande de pommes de terre, une rousse qui est toujours enceinte… La femme est là, près de son panier, tout efflanquée, les joues terreuses, un nourrisson très sale sur le bras… Accouchée depuis neuf jours, de son sixième !… Josanne, qui a le don d’attirer les confidences, doit entendre le récit des couches, que suit l’annonce du mariage de la rousse avec « c’te gouape de Martin »…

— Compliments !

— Y a pas de quoi, allez, ma chère femme !… C’est pas pour le mariage, c’est pour avoir la layette et les cent sous par mois des dames charitables du Cintième… et les galoches des bonnes sœurs pour mon aîné… Et puis, comme il est protestant, Martin, on aura aussi quèque chose des protestants… Faut-vivre !

« Cela ne suffit pas, pour recevoir une layette, cent sous par mois et des galoches, cela ne suffit pas d’avoir mis au monde six enfants !… Il faut le mariage !… Et cette pauvre imbécile qui va donner des droits légaux sur elle à cette « gouape » de Martin !… Comme les femmes sont bêtes, ou abêties ! Âmes de servantes !… Âmes d’esclaves !… »

Josanne pense à mademoiselle Bon, l’ardente féministe :

« Je lui raconterai cette histoire… Et, dans l’Assistance féminine, elle dira leur fait aux « dames charitables du Cintième »… Quelle rage de fourrer la morale partout… jusque dans la charité !… À qui profitera-t-elle, la morale, dans le cas présent ?… Ni aux enfants, ni à la mère, mais à cette « gouape » de Martin !… »