Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/87

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des parents de Pierre qui étaient tous morts : dames en crinoline, parées de longues boucles, qui glissent de leur chignon sur leur épaule, messieurs à barbiches, petites filles dont la jupe bouffante découvre le bord tuyauté d’un pantalon blanc ; petits garçons en vestes de velours appuyés sur des tables trop sculptées, officiers d’Afrique au grand képi, — et monseigneur le comte de Chambord, et le saint père Pie IX, et monsieur Thiers, « libérateur du territoire… » Ces visages effacés avaient quelque chose de si lointain, de si triste !… Et la photographie de Pierre, parmi les autres, était comme une tombe neuve dans un cimetière…

La jeune femme se rappela les mois de souffrance qui avaient précédé la mort de son mari. Elle l’avait soigné, soutenu, consolé jusqu’à la minute suprême. Par sa présence fidèle et tendre, elle lui avait adouci le cruel passage. Non, Josanne ne se mentait pas à elle-même en disant qu’elle eût donné sa vie pour sauver Pierre. Sa douleur n’était pas hypocrite, — cette douleur qui avait absorbé, anéanti l’autre chagrin. — L’ombre de Pierre, évoquée dans ses rêves, n’était pas un fantôme irrité. Pourtant, il y avait des heures où le souvenir de Maurice faisait mal à Josanne. Elle prévoyait qu’un temps viendrait, peut-être, où les souvenirs réveillés mordraient son cœur et sa chair… Son indifférence actuelle était une léthargie passagère, et non pas la guérison.

Sa pensée erra… Elle se représenta Maurice marié, vivant avec une autre femme, dans une maison où elle, Josanne, n’entrerait jamais ; Maurice tenant sur ses genoux un enfant qui était le frère de Claude…