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D’UN NOUVEAU RÈGNE

debout me regarde approcher en souriant, La salle est si grande que je me sens tout à coup ridiculement petite. Mais Chefket Pacha me tend la main, et s’incline un peu pour que la conversation soit plus facile. Et ma timidité puérile disparaît soudain. Je regarde cet homme, qui a pris l’initiative périlleuse de sauver son pays à la pointe de l’épée, et qui a risqué, hardiment, l’apothéose ou la potence ; ce Croquemitaine des réactionnaires, qui pend aujourd’hui les gens qui l’auraient pendu, en cas d’insuccès. C’est un Arabe, de haute taille, maigre, un visage tout en creux et en reliefs, où les yeux, fauves et mobiles, s’enfoncent profondément. Ces yeux — vraiment des yeux d’aigle — rendent inoubliable la figure de Chefket Pacha. Il a de l’énergie, de l’audace, de la franchise, la dignité naturelle d’un homme de vieille race. Ce n’est pas un militaire de salon, ce n’est pas un discoureur, c’est un vrai soldat, c’est un homme.

— Vous êtes allée à Stamboul pendant les jours d’investissement ? Vous n’avez pas eu