Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/107

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la Nouvelle-Angleterre appartenaient tous aux classes aisées de la mère-patrie. Leur réunion sur le sol américain présenta, dès l’origine, le singulier phénomène d’une société où il ne se trouvait ni grands seigneurs ni peuple, et, pour ainsi dire, ni pauvres ni riches. Il y avait, à proportion gardée, une plus grande masse de lumières répandue parmi ces hommes que dans le sein d’aucune nation européenne de nos jours. Tous, sans en excepter peut-être un seul, avaient reçu une éducation assez avancée, et plusieurs d’entre eux s’étaient fait connaître en Europe par leurs talents et leur science. Les autres colonies avaient été fondées par des aventuriers sans famille ; les émigrants de la Nouvelle-Angleterre apportaient avec eux d’admirables éléments d’ordre et de moralité ; ils se rendaient au désert accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants. Mais ce qui les distinguait surtout de tous les autres, était le but même de leur entreprise. Ce n’était point la nécessité qui les forçait d’abandonner leur pays ; ils y laissaient une position sociale regrettable et les moyens de vivre assurés ; ils ne passaient point non plus dans le Nouveau-Monde afin d’y améliorer leur situation ou d’y accroître leurs richesses ; ils s’arrachaient aux douceurs de la patrie pour obéir à un besoin purement intellectuel ; en s’exposant aux misères inévitables de l’exil, ils voulaient faire triompher une idée.

Les émigrants, ou, comme ils s’appelaient si bien eux-mêmes, les pèlerins (pilgrims), appartenaient à cette secte d’Angleterre à laquelle l’austérité de ses prin-