Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/126

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Retenus dans les liens les plus étroits de certaines croyances religieuses, ils étaient libres de tous préjugés politiques.

De là deux tendances diverses, mais non contraires, dont il est facile de retrouver partout la trace, dans les mœurs comme dans les lois.

Des hommes sacrifient à une opinion religieuse leurs amis, leur famille et leur patrie ; on peut les croire absorbés dans la poursuite de ce bien intellectuel qu’ils sont venus acheter à si haut prix. On les voit cependant rechercher d’une ardeur presque égale les richesses matérielles et les jouissances morales, le ciel dans l’autre monde, et le bien-être et la liberté dans celui-ci.

Sous leur main, les principes politiques, les lois et les institutions humaines semblent choses malléables, qui peuvent se tourner et se combiner à volonté.

Devant eux s’abaissent les barrières qui emprisonnaient la société au sein de laquelle ils sont nés ; les vieilles opinions, qui depuis des siècles dirigeaient le monde, s’évanouissent ; une carrière presque sans bornes, un champ sans horizon se découvre : l’esprit humain s’y précipite ; il les parcourt en tous sens ; mais, arrivé aux limites du monde politique, il s’arrête de lui-même ; il dépose en tremblant l’usage de ses plus redoutables facultés ; il abjure le doute ; il renonce au besoin d’innover ; il s’abstient même de soulever le voile du sanctuaire ; il s’incline avec respect devant des vérités qu’il admet sans les discuter.