Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/129

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perdait déjà dans la nuit des temps, le problème serait insoluble.

Je citerai un seul exemple pour faire comprendre ma pensée.

La législation civile et criminelle des Américains ne connaît que deux moyens d’action : la prison ou le cautionnement. Le premier acte d’une procédure consiste à obtenir caution du défendeur, ou, s’il refuse, à le faire incarcérer ; on discute ensuite la validité du titre ou la gravité des charges.

Il est évident qu’une pareille législation est dirigée contre le pauvre, et ne favorise que le riche.

Le pauvre ne trouve pas toujours de caution, même en matière civile, et, s’il est contraint d’aller attendre justice en prison, son inaction forcée le réduit bientôt à la misère.

Le riche, au contraire, parvient toujours à échapper à l’emprisonnement en matière civile ; bien plus, a-t-il commis un délit, il se soustrait aisément à la punition qui doit l’atteindre : après avoir fourni caution, il disparaît. On peut donc dire que pour lui toutes les peines qu’inflige la loi se réduisent à des amendes[1]. Quoi de plus aristocratique qu’une semblable législation ?

En Amérique, cependant, ce sont les pauvres qui font la loi, et ils réservent habituellement pour eux-mêmes les plus grands avantages de la société.

  1. ll y a sans doute des crimes pour lesquels on ne reçoit pas caution, mais ils sont en très-petit nombre.