Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/187

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Lorsqu’un individu est positivement et actuellement lésé par un délit administratif, l’on comprend en effet que l’intérêt personnel garantisse la plainte.

Mais il est facile de prévoir que s’il s’agit d’une prescription légale, qui, tout en étant utile à la société, n’est point d’une utilité actuellement sentie par un individu, chacun hésitera à se porter accusateur. De cette manière, et par une sorte d’accord tacite, les lois pourraient bien tomber en désuétude.

Dans cette extrémité où leur système les jette, les Américains sont obligés d’intéresser les dénonciateurs en les appelant dans certains cas au partage des amendes[1].

Moyen dangereux qui assure l’exécution des lois en dégradant les mœurs.

Au-dessus des magistrats du comté, il n’y a plus, à

  1. En cas d’invasion ou d’insurrection, lorsque les officiers communaux négligent de fournir à la milice les objets et munitions nécessaires, la commune peut être condamnée à une amende de 200 à 500 dollars, (1,000 à 2,700 francs).

    On conçoit très-bien que, dans un cas pareil, il peut arriver que personne n’ait l’intérêt ni le désir de prendre le rôle d’accusateur. Aussi la loi ajoute-t-elle : « Tous les citoyens auront droit de poursuivre la punition de semblables délits, et la moitié de l’amende appartiendra au poursuivant. » Voyez la loi du 6 mars 1810, vol. II, p. 236.

    On retrouve très-fréquemment la même disposition reproduite dans les lois du Massachusetts.

    Quelquefois ce n’est pas le particulier que la loi excite de cette manière à poursuivre les fonctionnaires publics ; c’est le fonctionnaire qu’elle encourage ainsi à faire punir la désobéissance des particuliers. Exemple : un habitant refuse de faire la part de travail qui lui a été assignée sur une grande route. Le surveillant des routes doit le poursuivre ; et s’il le fait condamner, la moitié de l’amende lui revient. Voyez les lois précitées, vol. I, page 308.