Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/213

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Je dis que de pareilles nations sont préparées pour la conquête. Si elles ne disparaissent pas de la scène du monde, c’est qu’elles sont environnées de nations semblables ou inférieures à elles ; c’est qu’il reste encore dans leur sein une sorte d’instinct indéfinissable de la patrie, je ne sais quel orgueil irréfléchi du nom qu’elle porte, quel vague souvenir de leur gloire passée, qui, sans se rattacher précisément à rien, suffit pour leur imprimer au besoin une impulsion conservatrice.

On aurait tort de se rassurer en songeant que certains peuples ont fait de prodigieux efforts pour défendre une patrie dans laquelle ils vivaient pour ainsi dire en étrangers. Qu’on y prenne bien garde, et on verra que la religion était presque toujours alors leur principal mobile.

La durée, la gloire, ou la prospérité de la nation étaient devenues pour eux des dogmes sacrés, et en défendant leur patrie, ils défendaient aussi cette cité sainte dans laquelle ils étaient tous citoyens.

Les populations turques n’ont jamais pris aucune part à la direction des affaires de la société ; elles ont cependant accompli d’immenses entreprises, tant qu’elles ont vu le triomphe de la religion de Mahomet dans les conquêtes des sultans. Aujourd’hui la religion s’en va ; le despotisme seul leur reste : elles tombent.

Montesquieu, en donnant au despotisme une force qui lui fût propre, lui a fait, je pense, un honneur qu’il ne méritait pas. Le despotisme, à lui tout seul, ne peut