Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/339

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Les législateurs américains, en rendant moins probable la lutte entre les deux souverainetés, n’en ont donc pas détruit les causes.

On peut même aller plus loin, et dire qu’ils n’ont pu, en cas de lutte, assurer au pouvoir fédéral la prépondérance.

Ils donnèrent à l’Union de l’argent et des soldats, mais les États gardèrent l’amour et les préjugés des peuples.

La souveraineté de l’Union est un être abstrait qui ne se rattache qu’à un petit nombre d’objets extérieurs. La souveraineté des États tombe sous tous les sens ; on la comprend sans peine ; on la voit agir à chaque instant. L’une est nouvelle, l’autre est née avec le peuple lui-même.

La souveraineté de l’Union est l’œuvre de l’art. La souveraineté des États est naturelle ; elle existe par elle-même, sans efforts, comme l’autorité du père de famille.

La souveraineté de l’Union ne touche les hommes que par quelques grands intérêts ; elle représente une partie immense, éloignée, un sentiment vague et indéfini. La souveraineté des États enveloppe chaque citoyen, en quelque sorte, et le prend chaque jour en détail. C’est elle qui se charge de garantir sa propriété, sa liberté, sa vie ; elle influe à tout moment sur son bien-être ou sa misère. La souveraineté des États s’appuie sur les souvenirs, sur les habitudes, sur les préjugés locaux, sur l’égoïsme de province et de famille ; en un mot, sur toutes les choses qui rendent l’instinct de la patrie si puissant dans le cœur de l’homme. Comment douter de ses avantages ?