Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/81

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moins sont dignes de l’être ; mais je me suis gardé de le faire. L’étranger apprend souvent auprès du foyer de son hôte d’importantes vérités, que celui-ci déroberait peut-être à l’amitié ; on se soulage avec lui d’un silence obligé ; on ne craint pas son indiscrétion, parce qu’il passe. Chacune de ces confidences était enregistrée par moi aussitôt que reçue, mais elles ne sortiront jamais de mon portefeuille ; j’aime mieux nuire au succès de mes récits que d’ajouter mon nom à la liste de ces voyageurs qui renvoient des chagrins et des embarras en retour de la généreuse hospitalité qu’ils ont reçue.

Je sais que, malgré mes soins, rien ne sera plus facile que de critiquer ce livre, si personne songe jamais à le critiquer.

Ceux qui voudront y regarder de près retrouveront, je pense, dans l’ouvrage entier, une pensée-mère qui enchaîne, pour ainsi dire, toutes ses parties. Mais la diversité des objets que j’ai eus à traiter est très grande, et celui qui entreprendra d’opposer un fait isolé à l’ensemble des faits que je cite, une idée détachée à l’ensemble des idées, y réussira sans peine. Je voudrais donc qu’on me fît la grâce de me lire dans le même esprit qui a présidé à mon travail, et qu’on jugeât le livre par l’impression générale qu’il laisse, comme je me suis décidé moi-même, non par telle raison, mais par la masse des raisons.

Il ne faut pas non plus oublier que l’auteur qui veut se faire comprendre est obligé de pousser chacune de ses idées dans toutes leurs conséquences théoriques, et sou-