Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/105

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tat, ils se bornent à vous répondre : Laissez faire le temps ; le sentiment du mal éclairera le peuple et lui montrera ses besoins. Cela est souvent vrai : si la démocratie a plus de chances de se tromper qu’un roi ou un corps de nobles, elle a aussi plus de chances de revenir à la vérité, une fois que la lumière lui arrive, parce qu’il n’y a pas, en général, dans son sein, d’intérêts contraires à celui du plus grand nombre, et qui luttent contre la raison. Mais la démocratie ne peut obtenir la vérité que de l’expérience, et beaucoup de peuples ne sauraient attendre, sans périr, les résultats de leurs erreurs.

Le grand privilège des Américains n’est donc pas seulement d’être plus éclairés que d’autres, mais d’avoir la faculté de faire des fautes réparables.

Ajoutez que, pour mettre facilement à profit l’expérience du passé, il faut que la démocratie soit déjà parvenue à un certain degré de civilisation et de lumières.

On voit des peuples dont l’éducation première a été si vicieuse, et dont le caractère présente un si étrange mélange de passions, d’ignorance et de notions erronées de toutes choses, qu’ils ne sauraient d’eux-mêmes discerner la cause de leurs misères ; ils succombent sous des maux qu’ils ignorent.

J’ai parcouru de vastes contrées habitées jadis par de puissantes nations indiennes qui aujourd’hui n’existent plus ; j’ai habité chez des tribus déjà mutilées qui chaque jour voient décroître leur nombre et disparaître l’éclat de leur gloire sauvage ; j’ai entendu ces Indiens eux-mêmes prévoir le destin final réservé à leur race. Il n’y