Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/140

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le plus habile est souvent impuissant à créer ; elle répand dans tout le corps social une inquiète activité, une force surabondante, une énergie qui n’existent jamais sans elle, et qui, pour peu que les circonstances soient favorables, peuvent enfanter des merveilles. Là sont ses vrais avantages.

Dans ce siècle, où les destinées du monde chrétien paraissent en suspens, les uns se hâtent d’attaquer la démocratie comme une puissance ennemie, tandis qu’elle grandit encore ; les autres adorent déjà en elle un dieu nouveau qui sort du néant ; mais les uns et les autres ne connaissent qu’imparfaitement l’objet de leur haine ou de leur désir ; ils se combattent dans les ténèbres et ne frappent qu’au hasard.

Que demandez-vous de la société et de son gouvernement ? Il faut s’entendre.

Voulez-vous donner à l’esprit humain une certaine hauteur, une façon généreuse d’envisager les choses de ce monde ? Voulez-vous inspirer aux hommes une sorte de mépris des biens matériels ? Désirez-vous faire naître ou entretenir des convictions profondes et préparer de grands dévouements ?

S’agit-il pour vous de polir les mœurs, d’élever les manières, de faire briller les arts ? Voulez-vous de la poésie, du bruit, de la gloire ?

Prétendez-vous organiser un peuple de manière à agir fortement sur tous les autres ? Le destinez-vous à tenter les grandes entreprises, et, quel que soit le résultat de ses efforts, à laisser une trace immense dans l’histoire ?