Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/172

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rière contre les écarts de la démocratie. Cet effet me semble tenir à une cause générale qu’il est utile de rechercher, car elle peut se reproduire ailleurs.

Les légistes ont été mêlés à tous les mouvements de la société politique, en Europe, depuis cinq cents ans. Tantôt ils ont servi d’instruments aux puissances politiques, tantôt ils ont pris les puissances politiques pour instruments. Au Moyen Âge, les légistes ont merveilleusement coopéré a étendre la domination des rois ; depuis ce temps, ils ont puissamment travaillé à restreindre ce même pouvoir. En Angleterre, on les a vus s’unir intimement à l’aristocratie ; en France, ils se sont montrés ses ennemis les plus dangereux. Les légistes ne cèdent-ils donc qu’à des impulsions soudaines et momentanées, ou obéissent-ils plus ou moins, suivant les circonstances, à des instincts qui leur soient naturels, et qui se reproduisent toujours ? je voudrais éclaircir ce point ; car peut-être les légistes sont-ils appelés à jouer le premier rôle dans la société politique qui cherche à naître.

Les hommes qui ont fait leur étude spéciale des lois ont puisé dans ces travaux des habitudes d’ordre, un certain goût des formes, une sorte d’amour instinctif pour l’enchaînement régulier des idées, qui les rendent naturellement fort opposés à l’esprit révolutionnaire et aux passions irréfléchies de la démocratie.

Les connaissances spéciales que les légistes acquièrent en étudiant la loi leur assurent un rang à part dans la société ; ils forment une sorte de classe privilégiée parmi les intelligences. Ils retrouvent chaque jour l’idée de cette