Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/188

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cès : après elle vient aussitôt l’idée du droit. Un gouvernement réduit à ne pouvoir atteindre ses ennemis que sur le champ de bataille serait bientôt détruit. La véritable sanction des lois politiques se trouve donc dans les lois pénales, et si la sanction manque, la loi perd tôt ou tard sa force. L’homme qui juge au criminel est donc réellement le maître de la société. Or, l’institution du jury place le peuple lui-même, ou du moins une classe de citoyens, sur le siège du juge. L’institution du jury met donc réellement la direction de la société dans les mains du peuple ou de cette classe[1].

En Angleterre, le jury se recrute dans la portion aristocratique de la nation. L’aristocratie fait les lois, applique les lois et juge les infractions aux lois (note B). Tout est d’accord : aussi l’Angleterre forme-t-elle à vrai dire une république aristocratique. Aux États-Unis, le même système est appliqué au peuple entier. Chaque citoyen américain est électeur, éligible et juré (note C). Le système du jury, tel qu’on l’entend en Amérique, me paraît une conséquence aussi directe et aussi extrême du dogme de la souveraineté du peuple que le vote uni-

  1. Il faut cependant faire une remarque importante :

    L’institution du jury donne, il est vrai, au peuple un droit général de contrôle sur les actions des citoyens, mais elle ne lui fournit pas les moyens d’exercer ce contrôle dans tous les cas, ni d’une manière toujours tyrannique.

    Lorsqu’un prince absolu a la faculté de faire juger les crimes par ses délégués, le sort de l’accusé est pour ainsi dire fixé d’avance. Mais le peuple fût-il résolu à condamner, la composition du jury et son irresponsabilité offriraient encore des chances favorables à l’innocence.