Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/203

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soldats poussent devant eux la race errante des indigènes ; derrière les hommes armés s’avancent des bûcherons qui percent les forêts, écartent les bêtes farouches, explorent le cours des fleuves et préparent la marche triomphante de la civilisation à travers le désert.

Souvent, dans le cours de cet ouvrage, j’ai fait allusion au bien-être matériel dont jouissent les Américains ; je l’ai indiqué comme une des grandes causes du succès de leurs lois. Cette raison avait déjà été donnée par mille autres avant moi : c’est la seule qui, tombant en quelque sorte sous le sens des Européens, soit devenue populaire parmi nous. Je ne m’étendrai donc pas sur un sujet si souvent traité et si bien compris ; je ne ferai qu’ajouter quelques nouveaux faits.

On se figure généralement que les déserts de l’Amérique se peuplent à l’aide des émigrants européens qui descendent chaque année sur les rivages du nouveau monde, tandis que la population américaine croît et se multiplie sur le sol qu’ont occupe ses pères : c’est là une grande erreur. L’Européen qui aborde aux États-Unis y arrive sans amis et souvent sans ressources ; il est obligé, pour vivre, de louer ses services, et il est rare de lui voir dépasser la grande zone industrielle qui s’étend le long de l’Océan. On ne saurait défricher le désert sans un capital ou du crédit ; avant de se risquer au milieu des forêts, il faut que le corps se soit habitué aux rigueurs d’un climat nouveau. Ce sont donc des Américains qui, abandonnant chaque jour le lieu de