Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/209

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Une pirogue indienne était tirée sur le sable ; j’en profitai pour aller visiter l’île qui avait d’abord attiré mes regards, et bientôt après j’étais parvenu sur son rivage.

L’île entière formait une de ces délicieuses solitudes du nouveau monde qui font presque regretter à l’homme civilisé la vie sauvage. Une végétation vigoureuse annonçait par ses merveilles les richesses incomparables du sol. Il y régnait, comme dans tous les déserts de l’Amérique du Nord, un silence profond qui n’était interrompu que par le roucoulement monotone des ramiers ou par les coups que frappait le pic-vert sur l’écorce des arbres. J’étais bien loin de croire que ce lieu eût été habité jadis, tant la nature y semblait encore abandonnée à elle-même ; mais, parvenu au centre de l’île, je crus tout à coup rencontrer les vestiges de l’homme. J’examinai alors avec soin tous les objets d’alentour, et bientôt je ne doutai plus qu’un Européen ne fût venu chercher un refuge en cet endroit. Mais combien son œuvre avait changé de face ! Le bois que jadis il avait coupé à la hâte pour s’en faire un abri avait depuis poussé des rejetons ; ses clôtures étaient devenues des haies vives, et sa cabane était transformée en un bosquet. Au milieu de ces arbustes, on apercevait encore quelques pierres noircies par le feu, répandues autour d’un petit tas de cendres ; c’était sans doute dans ce lieu qu’était le foyer : la cheminée, en s’écroulant, l’avait couvert de ses débris. Quelque temps j’admirai en silence les ressources de la nature et la faiblesse de l’homme ; et lorsque enfin il fallut m’éloigner de ces lieux en-