Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/21

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lève et dit : « J’ai rendu la paix au pays, on me doit des actions de grâces. »

Mais sous cette unanimité apparente se cachent encore des divisions profondes et une opposition réelle.

C’est ce qui arriva en Amérique : quand le parti démocratique eut obtenu la prépondérance, on le vit s’emparer de la direction exclusive des affaires. Depuis, il n’a cessé de modeler les mœurs et les lois sur ses désirs.

De nos jours, on peut dire qu’aux États-Unis les classes riches de la société sont presque entièrement hors des affaires politiques, et que la richesse, loin d’y être un droit, y est une cause réelle de défaveur et un obstacle pour parvenir au pouvoir.

Les riches aiment donc mieux abandonner la lice que d’y soutenir une lutte souvent inégale contre les plus pauvres de leurs concitoyens. Ne pouvant pas prendre dans la vie publique un rang analogue à celui qu’ils occupent dans la vie privée, ils abandonnent la première pour se concentrer dans la seconde. Ils forment au milieu de l’État comme une société particulière qui a ses goûts et ses jouissances à part.

Le riche se soumet à cet état de choses comme à un mal irrémédiable ; il évite même avec grand soin de montrer qu’il le blesse ; on l’entend donc vanter en public les douceurs du gouvernement républicain et les avantages des formes démocratiques. Car, après le fait de haïr leurs ennemis, qu’y a-t-il de plus naturel aux hommes que de les flatter ?

Voyez-vous cet opulent citoyen ? ne dirait-on pas un