Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/275

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A la perfection de nos arts, il ne veut opposer que les ressources du désert ; à notre tactique, que son courage indiscipliné ; à la profondeur de nos desseins, que les instincts spontanés de sa nature sauvage. Il succombe dans cette lutte inégale.

Le nègre voudrait se confondre avec l’Européen, et il ne le peut. L’Indien pourrait jusqu’à un certain point y réussir, mais il dédaigne de le tenter. La servilité de l’un le livre à l’esclavage, et l’orgueil de l’autre à la mort.

Je me souviens que, parcourant les forêts qui couvrent encore l’État d’Alabama, je parvins un jour auprès de la cabane d’un pionnier. Je ne voulus point pénétrer dans la demeure de l’Américain, mais j’allai me reposer quelques instants sur le bord d’une fontaine qui se trouvait non loin de là dans le bois. Tandis que j’étais en cet endroit, il y vint une Indienne (nous nous trouvions alors près du territoire occupé par la nation des Creeks) ; elle tenait par la main une petite fille de cinq à six ans, appartenant à la race blanche, et que je supposai être la fille du pionnier. Une négresse les suivait. Il régnait dans le costume de l’Indienne une sorte de luxe barbare : des anneaux de métal étaient suspendus à ses narines et à ses oreilles ; ses cheveux, mêlés de grains de verre,

    bataille de ***, C… vint s’asseoir auprès du feu de notre bivouac ; je lui demandai ce qui lui était arrivé dans la journée ; il me le raconta, et s’animant par degrés aux souvenirs de ses exploits, il finit par entrouvrir son habit en me disant — Ne me trahissez pas, mais voyez ! Je vis en effet, ajouta le major H., entre son corps et sa chemise, la chevelure d’un Anglais encore toute dégouttante de sang. »