Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/345

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nègres en Afrique, elle ne pourrait point encore balancer le seul progrès naturel de la population parmi les noirs ; et n’enlevant pas chaque année autant d’hommes qu’il en vient au monde, elle ne parviendrait pas même à suspendre les développements du mal qui grandit chaque jour dans son sein[1].

La race nègre ne quittera plus les rivages du continent américain, où les passions et les vices de l’Europe l’ont fait descendre ; elle ne disparaîtra du nouveau monde qu’en cessant d’exister. Les habitants des États-Unis peuvent éloigner les malheurs qu’ils redoutent, mais ils ne sauraient aujourd’hui en détruire la cause.

Je suis obligé d’avouer que je ne considère pas l’abolition de la servitude comme un moyen de retarder, dans les États du Sud, la lutte des deux races.

Les nègres peuvent rester longtemps esclaves sans se plaindre ; mais entrés au nombre des hommes libres, ils s’indigneront bientôt d’être privés de presque tous les droits de citoyens ; et ne pouvant devenir les égaux des blancs, ils ne tarderont pas à se montrer leurs ennemis.

Au Nord, on avait tout profit à affranchir les esclaves ;

    à des sommes énormes, et il n’est pas croyable que les États du Nord consentissent à faire une semblable dépense, dont ils ne devraient point recueillir les fruits. Si l’Union s’emparait de force ou acquérait à un bas prix fixé par elle les esclaves du Sud, elle créerait une résistance insurmontable parmi les États situés dans cette partie de l’Union. Des deux côtés on aboutit à l’impossible.

  1. Il y avait en 1830 dans les États-Unis 2,010,327 esclaves, et 319,439 affranchis ; en tout 2,329,766 nègres ; ce qui formait un peu plus du cinquième de la population totale des États-Unis à la même époque.