Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/411

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premiers émigrants, tout se réunissait pour y développer à un degré extraordinaire les libertés communales et provinciales.

Aux États-Unis, l’ensemble des institutions du pays est donc essentiellement républicain ; pour y détruire d’une façon durable les lois qui fondent la république, il faudrait en quelque sorte abolir à la fois toutes les lois.

Si, de nos jours, un parti entreprenait de fonder la monarchie aux États-Unis, il serait dans une position encore plus difficile que celui qui voudrait proclamer dès à présent la république en France. La royauté ne trouverait point la législation préparée d’avance pour elle, et ce serait bien réellement alors qu’on verrait une monarchie entourée d’institutions républicaines.

Le principe monarchique pénétrerait aussi difficilement dans les mœurs des Américains.

Aux États-Unis, le dogme de la souveraineté du peuple n’est point une doctrine isolée qui ne tienne ni aux habitudes, ni à l’ensemble des idées dominantes ; on peut, au contraire, l’envisager comme le dernier anneau d’une chaîne d’opinions qui enveloppe le monde anglo-américain tout entier. La Providence a donné à chaque individu, quel qu’il soit, le degré de raison nécessaire pour qu’il puisse se diriger lui-même dans les choses qui l’intéressent exclusivement. Telle est la grande maxime sur laquelle, aux États-Unis, repose la société civile et politique : le père de famille en fait l’application a ses enfants, le maître à ses serviteurs, la commune à ses administrés, la province aux communes,