Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/43

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opinions et non de les contraindre, de conseiller la loi, non de la faire ?

Plus j’envisage l’indépendance de la presse dans ses principaux effets, plus je viens à me convaincre que chez les modernes l’indépendance de la presse est l’élément capital, et pour ainsi dire constitutif de la liberté. Un peuple qui veut rester libre a donc le droit d’exiger qu’à tout prix on la respecte. Mais la liberté illimitée d’association en matière politique ne saurait être entièrement confondue avec la liberté d’écrire. L’une est tout à la fois moins nécessaire et plus dangereuse que l’autre. Une nation peut y mettre des bornes sans cesser d’être maîtresse d’elle-même ; elle doit quelque-fois le faire pour continuer à l’être.

En Amérique, la liberté de s’associer dans des buts politiques est illimitée.

Un exemple fera mieux connaître que tout ce que je pourrais ajouter jusqu’à quel degré on la tolère.

On se rappelle combien la question du tarif ou de la liberté du commerce a agité les esprits en Amérique. Le tarif favorisait ou attaquait non seulement des opinions, mais des intérêts matériels très puissants. Le Nord lui attribuait une partie de sa prospérité, le Sud presque toutes ses misères. On peut dire que pendant longtemps le tarif a fait naître les seules passions politiques qui aient agité l’Union.

En 1831, lorsque la querelle était le plus envenimée, un citoyen obscur du Massachusetts imagina de proposer, par la voie des journaux, à tous les ennemis du tarif