Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/55

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dans certains pays, moins loin dans certains autres ; mais pour qu’elle n’existât point, il faudrait que le peuple n’eût point à s’occuper des soins matériels de la vie, c’est-à-dire qu’il ne fût plus le peuple. Il est donc aussi difficile de concevoir une société où tous les hommes soient très éclairés, qu’un État où tous les citoyens soient riches ; ce sont là deux difficultés corrélatives. J’admettrai sans peine que la masse des citoyens veut très sincèrement le bien du pays ; je vais même plus loin, et je dis que les classes inférieures de la société me semblent mêler, en général, à ce désir moins de combinaisons d’intérêt personnel que les classes élevées ; mais ce qui leur manque toujours, plus ou moins, C’est l’art de juger des moyens tout en voulant sincèrement la fin. Quelle longue étude, que de notions diverses sont nécessaires pour se faire une idée exacte du caractère d’un seul homme ! Les plus grands génies s’y égarent, et la multitude y réussirait ! Le peuple ne trouve jamais le temps et les moyens de se livrer à ce travail. Il lui faut toujours juger à la hâte et s’attacher au plus saillant des objets. De là vient que les charlatans de tous genres savent si bien le secret de lui plaire, tandis que, le plus souvent, ses véritables amis y échouent.

Du reste, ce n’est pas toujours la capacité qui manque à la démocratie pour choisir les hommes de mérite, mais le désir et le goût.

Il ne faut pas se dissimuler que les institutions démocratiques développent à un très haut degré le sentiment de l’envie dans le cœur humain. Ce n’est point tant