En vain objectera-t-on que l’intérêt bien entendu du peuple est de ménager la fortune des riches, parce qu’il ne tarderait pas à se ressentir de la gêne qu’il ferait naître. Mais l’intérêt des rois n’est-il pas aussi de rendre leurs sujets heureux, et celui des nobles de savoir ouvrir à propos leurs rangs ? Si l’intérêt éloigné pouvait prévaloir sur les passions et les besoins du moment, il n’y aurait jamais eu de souverains tyranniques ni d’aristocratie exclusive.
L’on m’arrête encore en disant : Qui a jamais imagine de charger les pauvres de faire seuls la loi ? Qui ? Ceux qui ont établi le vote universel. Est-ce la majorité ou la minorité qui fait la loi ? La majorité sans doute ; et si je prouve que les pauvres composent toujours la majorité, n’aurai-je pas raison d’ajouter que dans les pays où ils sont appelés à voter, les pauvres font seuls la loi ?
Or, il est certain que jusqu’ici, chez toutes les nations du monde, le plus grand nombre a toujours été composé de ceux qui n’avaient pas de propriété, ou de ceux dont la propriété était trop restreinte pour qu’ils pussent vivre dans l’aisance sans travailler. Le vote universel donne donc réellement le gouvernement de la société aux pauvres.
L’influence fâcheuse que peut quelquefois exercer le pouvoir populaire sur les finances de l’État se fit bien voir dans certaines républiques démocratiques de l’Antiquité, où le trésor public s’épuisait à secourir les citoyens indigents, ou à donner des jeux et des spectacles au peuple.