Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/151

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par conséquent plus difficiles à démêler et à suivre dans des temps d’égalité que dans des siècles d’aristocratie, où il ne s’agit que d’analyser, au milieu des faits généraux, l’action particulière d’un seul homme ou de quelques uns.

L’historien se fatigue bientôt d’un pareil travail ; son esprit se perd au milieu de ce labyrinthe ; et, ne pouvant parvenir à apercevoir clairement, et à mettre suffisamment en lumière les influences individuelles, il les nie. Il préfère nous parler du naturel des races, de la constitution physique du pays, ou de l’esprit de la civilisation. Cela abrège son travail, et à moins de frais satisfait mieux le lecteur.

M. de Lafayette a dit quelque part, dans ses Mémoires, que le système exagéré des causes générales procurait de merveilleuses consolations aux hommes publics médiocres. J’ajoute qu’il en donne d’admirables aux historiens médiocres. Il leur fournit toujours quelques grandes raisons qui les tirent promptement d’affaire à l’endroit le plus difficile de leur livre, et favorisent la faiblesse ou la paresse de leur esprit, tout en faisant honneur à sa profondeur.

Pour moi, je pense qu’il n’y a pas d’époque où il ne faille attribuer une partie des événements de ce monde à des faits très généraux, et une autre à des influences très particulières. Ces deux causes se rencontrent toujours ; leur rapport seul diffère. Les faits généraux expliquent plus de choses dans les siècles démocratiques que dans les siècles aristocratiques, et les influences