Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/182

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la faveur d’un peuple ; mais, pour gagner l’amour et le respect de la population qui vous entoure, il faut une longue succession de petits services rendus, de bons offices obscurs, une habitude constante de bienveillance et une réputation bien établie de désintéressement.

Les libertés locales, qui font qu’un grand nombre de citoyens mettent du prix à l’affection de leurs voisins et de leurs proches, ramènent donc sans cesse les hommes les uns vers les autres, en dépit des instincts qui les séparent, et les forcent à s’entr’aider.

Aux États-Unis, les plus opulents citoyens ont bien soin de ne point s’isoler du peuple ; au contraire, ils s’en rapprochent sans cesse, ils l’écoutent volontiers, et lui parlent tous les jours. Ils savent que les riches des démocraties ont toujours besoin des pauvres, et que dans les temps démocratiques on s’attache le pauvre par les manières plus que par les bienfaits. La grandeur même des bienfaits, qui met en lumière la différence des conditions, cause une irritation secrète à ceux qui en profitent ; mais la simplicité des manières a des charmes presque irrésistibles : leur familiarité entraîne, et leur grossièreté même ne déplaît pas toujours.

Ce n’est pas du premier coup que cette vérité pénètre dans l’esprit des riches. Ils y résistent d’ordinaire tant que dure la révolution démocratique, et ils ne l’admettent même point aussitôt après que cette révolution est accomplie. Ils consentent volontiers à faire du bien au peuple ; mais ils veulent continuer à le tenir soigneusement à distance. Ils croient que cela suffit ; ils se trompent. Ils