Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/204

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et, après vous être épuisés en efforts pour les écarter des associations défendues, vous serez surpris de ne pouvoir leur persuader de former les associations permises.

Je ne dis point qu’il ne puisse pas y avoir d’associations civiles dans un pays où l’association politique est interdite ; car les hommes ne sauraient jamais vivre en société sans se livrer à quelque entreprise commune. Mais je soutiens que, dans un semblable pays, les associations civiles seront toujours en très-petit nombre, faiblement conçues, inhabilement conduites, et qu’elles n’embrasseront jamais de vastes desseins, ou échoueront en voulant les exécuter.

Ceci me conduit naturellement à penser que la liberté d’association en matière politique n’est point aussi dangereuse pour la tranquillité publique qu’on le suppose, et qu’il pourrait se faire qu’après avoir quelque temps ébranlé l’État, elle l’affermisse.

Dans les pays démocratiques, les associations politiques forment pour ainsi dire les seuls particuliers puissants qui aspirent à régler l’État. Aussi les gouvernements de nos jours considèrent-ils ces espèces d’associations du même œil que les rois du moyen-âge regardaient les grands vassaux de la couronne : ils sentent une sorte d’horreur instinctive pour elles, et les combattent en toutes rencontres.

Ils ont, au contraire, une bienveillance naturelle pour les associations civiles, parce qu’ils ont aisément découvert que celles-ci, au lieu de diriger l’esprit des citoyens vers les affaires publiques, servent à l’en distraire, et,