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CHAPITRE VIII


COMMENT LES AMÉRICAINS COMBATTENT L’INDIVIDUALISME PAR LA DOCTRINE DE L’INTÉRÊT BIEN ENTENDU.


Lorsque le monde était conduit par un petit nombre d’individus puissants et riches, ceux-ci aimaient à se former une idée sublime des devoirs de l’homme ; ils se plaisaient à professer qu’il est glorieux de s’oublier soi-même et qu’il convient de faire le bien sans intérêt, comme Dieu même. C’était la doctrine officielle de ce temps en matière de morale.

Je doute que les hommes fussent plus vertueux dans les siècles aristocratiques que dans les autres, mais il est certain qu’on y parlait sans cesse des beautés de la vertu ; ils n’étudiaient qu’en secret par quel côté elle est utile ; mais, à mesure que l’imagination prend un vol moins haut, et que chacun se concentre en soi-même, les moralistes s’effraient à cette idée de sacrifice, et ils n’osent plus l’offrir à l’esprit humain ; ils se réduisent donc à rechercher si l’avantage individuel des citoyens ne serait pas de travailler au bonheur de tous, et, lors-