Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/274

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tions des animaux, ils donnent à ceux-ci des idées et des passions humaines. Ainsi font les poètes quand ils parlent des génies et des anges. Il n’y a point de si profondes misères, ni de félicités si pures qui puissent arrêter notre esprit et saisir notre cœur, si on ne nous représente à nous-mêmes sous d’autres traits.

Ceci s’applique fort bien au sujet qui nous occupe présentement.

Lorsque tous les hommes sont rangés d’une manière irrévocable, suivant leur profession, leurs biens et leur naissance, au sein d’une société aristocratique, les membres de chaque classe se considérant tous comme enfants de la même famille, éprouvent les uns pour les autres une sympathie continuelle et active qui ne peut jamais se rencontrer au même degré parmi les citoyens d’une démocratie.

Mais il n’en est pas de même des différentes classes vis-à-vis les unes des autres.

Chez un peuple aristocratique chaque caste a ses opinions, ses sentiments, ses droits, ses mœurs, son existence à part. Ainsi les hommes qui la composent ne ressemblent point à tous les autres ; ils n’ont point la même manière de penser ni de sentir, et c’est à peine s’ils croient faire partie de la même humanité.

Ils ne sauraient donc bien comprendre ce que les autres éprouvent, ni juger ceux-ci par eux-mêmes.

On les voit quelquefois pourtant se prêter avec ardeur un mutuel secours ; mais cela n’est pas contraire à ce qui précède.