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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/29

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de philosophie, de morale ou de politique que chacun y adopte ainsi sans examen sur la foi du public ; et si l’on regarde de très-près on verra que la religion elle-même y règne bien moins comme doctrine révélée que comme opinion commune.

Je sais que parmi les Américains, les lois politiques sont telles que la majorité y régit souverainement la société ; ce qui accroît beaucoup l’empire qu’elle y exerce naturellement sur l’intelligence. Car il n’y a rien de plus familier à l’homme que de reconnaître une sagesse supérieure dans celui qui l’opprime.

Cette omnipotence politique de la majorité aux États-Unis augmente, en effet, l’influence que les opinions du public y obtiendraient sans elle sur l’esprit de chaque citoyen, mais elle ne la fonde point. C’est dans l’égalité même qu’il faut chercher les sources de cette influence, et non dans les institutions plus ou moins populaires que des hommes égaux peuvent se donner. Il est à croire que l’empire intellectuel du plus grand nombre serait moins absolu chez un peuple démocratique soumis à un roi qu’au sein d’une pure démocratie ; mais il sera toujours très-absolu, et, quelles que soient les lois politiques qui régissent les hommes dans les siècles d’égalité, l’on peut prévoir que la foi dans l’opinion commune y deviendra une sorte de religion dont la majorité sera le prophète.

Ainsi l’autorité intellectuelle sera différente, mais elle ne sera pas moindre ; et, loin de croire qu’elle doive disparaître, j’augure qu’elle deviendrait aisément trop